l\'As de Bique

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Journée nationale du Fromage 2009

Journée nationale du Fromage 2009 le 28 Mars


par Danielle Birck

Article publié le 25/03/2009 sur le site internet RFI

Aujourd'hui le fromage au lait cru ne pèse plus que 10% à 11% de la production fromagère française. « Il aura fallu à peine 50 ans pour déconstruire 1500 ans d'histoire fromagère qui a posé les bases de l'agriculture et de la gastronomie nationales ». Ce constat, c'est celui de l'Association fromages de terroir, créée en 2001 pour la reconnaissance du fromage au lait cru et pour le maintien des fabricants artisanaux face à l'industrialisation croissante de la filière.

L'Association compte aujourd'hui quelque 90 fabricants (des PME familiales qui perpétuent la tradition de père en fils), une quarantaine de détaillants et quelque 400 sympathisants de différents horizons (chefs d'entreprise, journalistes, fabricants de fromage, détaillants, cuisiniers, etc.). Elle est à l'origine de la Journée nationale du fromage, qui a pour but de sensibiliser une fois par an les consommateurs, le jeune public, les enfants, à la diversité du patrimoine fromager français.

A la veille de la 9ème édition de cette manifestation, qui a lieu ce samedi 28 mars, RFI a rencontré Véronique Richez-Lerouge, fondatrice et présidente de l'Association fromages de terroirs.
Voici les propos recueillis:

RFI : Comment vous est venue l'idée de créer cette association ?

Véronique Richez-Lerouge : Sur un «coup de gueule » ! je suis gastronome et donc sensible à ce fleuron de la gastronomie française qu'est le fromage. J'en avais assez que les fromages au lait cru soient en permanence sur le banc des accusés, cités comme produits à risque dès qu'il y avait une affaire de listéria, alors que c'est exactement l'inverse, ce sont plutôt les produits industriels et ultra aseptisés qui sont à risque, mais on ne le dit pas. D'ailleurs, les affaires de listéria de l'époque ont plutôt touché des lots pasteurisés. Mais il y a de tels lobbies industriels, de tels enjeux financiers que l'on masque la vérité au consommateur, on agite des peurs et « flingue » le terroir… Parce que le fromage au lait cru c'est le socle de notre histoire gastronomique, c'est ce qui a fait la réputation des fromages français. Quand vous allez au Japon, en Australie ou aux Etats-Unis, vous vous apercevez que le fromage français est aussi connu, sinon plus, que le vin. 

Je me suis donc placée en consommateur-citoyen-militant et quand j'ai créé l'Association, je me suis aperçu  qu'il n'y avait rien. Bien sûr, il y a l'INAO qui légifère sur les AOC, mais je m'attendais à avoir des interlocuteurs, des institutions qui seraient là pour protéger le terroir et aider les jeunes producteurs. Au contraire, je n'ai trouvé que des portes fermées, des gens très hostiles à cette idée,  satisfaits finalement que des groupes industriels fassent des « copies » de fromages, des fromages de laboratoire  et laissent filer la dernière génération de fabricants détenteurs d'un véritable savoir-faire.

RFI : Mais il y a aussi la méconnaissance du public sur la nature des fromages, ce qui en fait l'authenticité…

V. R-L. : On a perdu la connaissance du fromage. Tout simplement parce qu'il n'est quasiment plus servi dans les restaurants. Dans pas mal de grandes brasseries parisiennes , il est abandonné à la carte, c'est-à-dire qu'il n'est plus « qualifié » , il n'est pas valorisé, contrairement aux vins qui possèdent leur propre carte. D'ailleurs les serveurs ne savent pas ce qu'est un fromage au lait cru et croient qu'il est mieux de servir un fromage pasteurisé, pensant répondre ainsi à une demande. Et moi je dis « il vaut mieux un fromage sans repas qu'un repas sans fromage » ! Le fromage est un aliment à part entière, une excellente protéine animale complète, qui peut se servir en plat unique à table, avec une salade, un fruit, une confiture et pas forcément avec du vin – il faut sortir de l'image standard – mais avec du cidre fermier ou un jus de fruit frais.

RFI : La journée nationale du Fromage a été créée dans le but, précisément, de mieux faire connaître les fromages.  Quel bilan peut-on dresser à l'occasion de cette 9ème édition ?  

V. R-L. : Un bilan à la fois positif et négatif. Ma grande déception c'est que les affineurs, c'est-à-dire les détaillants, globalement (au niveau de leur fédération, la FNDLR, ndlr),  ne se soient pas investis, qu'ils n'aient pas compris, à quelques exceptions près (une quarantaine de détaillants participent à la Journée nationale, ndlr), la nécessité de communiquer avec leurs clients.

Ce qui est positif, par contre, c'est que progressivement on réussit à imposer une image du fromage de terroir. Il est vrai que « la guerre » du camembert nous a servi. Certes on a eu très peur car le camembert failli perdre son AOC au lait cru, mais ça  a fait bouger les médias et sensibilisé l'opinion publique, car on  touchait là à une véritable institution, une « icône » du fromage français dont le nom est connu dans le monde entier. L'histoire nous a donné raison et ça me conforte dans notre combat. Autre élément encourageant : les dernières AOC, la rigotte de Condrieu et le gruyère français, sont toutes deux au lait cru. Le banon également a défini une AOC au lait cru extrêmement stricte.


Je suis optimiste pour l'avenir, je pense qu'on est à un tournant : les gens sont préoccupés par le développement durable, la terre, on recherche des produits plus authentiques, il y a une lassitude du marketing à outrance et peut-être que les circuits « courts »  vont se remettre en place…

RFI : En attendant, les consommateurs achètent essentiellement dans des grandes surfaces où l'affichage des fromages de terroir est loin d'être évident …

V. R-L. : C'est vrai, 90% de la distribution se fait en grande surface, pour partie dans les rayons à la coupe. Mais cette année,  pour la première  fois, une grande enseigne, Carrefour, participe à la Journée nationale du fromage avec un millier de magasins qui mettront en valeur les fromages au lait cru dans leurs rayons à la coupe. Il faut dire que ceux-ci connaissent actuellement des difficultés et la mise en avant des produits de terroir peut constituer pour les grandes enseignes  une bonne carte à jouer pour relancer la vente.

Et tant mieux si cela peut permettre en même temps de sensibiliser les consommateurs,  d'influencer leurs achats, et de soutenir les petits fabricants en préférant un  fromage au lait cru à un fromage pasteurisé industriel, le premier n'étant d'ailleurs le plus souvent pas plus cher que le second. Et surtout avec une valeur organoleptique incomparable, une palette de saveurs, d'arômes et de textures d'une très grande diversité, du fait des ferments, de l'affinage. Evidemment, on peut essayer de copier cela en laboratoire, mais ce ne sera jamais équivalent, et ça coûte très cher ! Le fromage industriel coûte cher, parce que le coût technologique et de laboratoire est élevé, comme celui du marketing. 

RFI : une industrialisation qui touche aussi les fromages de terroirs…

V. R-L. : En fait, le fromage est le produit aujourd'hui le plus touché par l'industrialisation, parce que dans les années 1970, on s'est laissé convaincre par des pratiques agricoles intensives qu'il fallait uniformiser les méthodes de production, pasteuriser le lait, nourrir les vaches avec du maïs  et de l'ensilage fermenté  alors qu'une vache, ça mange de l'herbe l'été et du foin l'hiver… On a pris des décrets qui ont permis la pasteurisation d'environ la moitié des AOC, et on a ouvert des autoroutes à des groupes industriels qui aujourd'hui rachètent le terroir à tour de bras. Ils rachètent les coopératives laitières, créent des supra-sociétés  pour les coiffer et contraignent les agriculteurs à leur fournir le lait. Et cela dans toutes les régions. Progressivement, ces groupes, comme Lactalis, gagnent du terrain. On peut poser la question : jusqu'à quand ? 

RFI : Face à cela, est-ce qu'on peut dire que l'appellation fromage au lait cru suffit pour certifier que c'est un vrai fromage de terroir ? 


V. R-L.: En fait il n'y a pas d'appellation fromage au lait cru. Il y a des AOC, qui d'ailleurs deviennent des AOP (Appellation d'origine protégée, un logo sous lequel l'Europe a rassemblé toutes les AOC). Le label AOC concerne aussi bien des fromages fabriqués au lait cru, que des fromages industriels pasteurisés (à 80%), c'est donc au consommateur de lire attentivement les étiquettes.  Ensuite, il y a des fromages au lait cru fabriqués de manière artisanale ou semi artisanale et d'autres de manière industrielle, donc de plus en plus standard. Le cas du roquefort, pas exemple, où il n'y a plus que deux ou trois producteurs (des petites entreprises de 20  à 25 personnes) qui répondent au cahier des charges d'origine et le fabriquent avec les moisissures du pain. En face vous avez le roquefort Société qui pèse très lourd dans la filière et qui est certes au lait cru mais avec un ferment fabriqué en laboratoire.

RFI : On a aussi mis en avant le fait que les fromages au lait cru étaient plus difficiles à exporter que les autres en raison d'interdictions dans certains pays…

V. R-L. : Les fromages au lait cru ont aussi souffert évidemment du boycott des pays nord américains, entre autres, qui interdisent l'entrée des fromages au lait cru en dessous de 60 jours d'affinage. Ce qui fait qu'un comté peut entrer aux Etats-unis sans problème. C'est plus contraignant pour les camemberts, les pêtes molles, les bries… qui n'ont que 4 ou cinq semaines d'affinage. Ceci dit, les bobos américains, les gastronomes adorent les fromages au lait cru et j'ai pas mal de témoignages sur notre site de la difficulté d'en trouver, mais aussi  le plaisir quand on en trouve… au Canada on fabrique à nouveau du fromage au lait cru, comme aux Etats-unis ou en  Angleterre… ça bouge quand même !  

RFI : La communication joue un grand rôle. Vous en savez quelque chose : ancienne journaliste devenue communicante…

V.R-L. : … et je redeviendrai peut-être journaliste ! je m'étonne qu'il n'y ait pas de revues consacrées au fromage, comme il y en a pour le vin… Pour sa part, l'Association Fromages de terroirs communique aussi à travers son calendrier des From'girls : une forme de communication plus décalée, plus glamour, avec ses pin up. Car ce n'est certainement pas en montrant des vaches dans les prés qu'on parlera le mieux  du fromage au lait cru ! Mais derrière le coté un peu fun, il y un message plus sérieux pour dire que  le terroir c'est beau, esthétique, qu'on a tort de le ringardiser et que c'est du plaisir. L'art de vivre à la française, si vous relisez Brillat Savarin, vous voyez que c'est d'abord du plaisir, de la beauté, du sourire , de la convivialité, de la passion et sûrement pas des discours de chiffres, de volumes comme on en entend aujourd'hui…




26/03/2009
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